Au Coin de la rue, l'aventure

Dans une société où la sécurité est une donnée obligatoire, nul n’échappe aujourd’hui à la médiocrité. Plongés par le travail dans la même agitation monotone, nous voici tous égaux devant l’illumination de l’aventure, accident bienheureux, interruption voluptueuse de l’emploi du temps. Fin, donc, des carriéristes du péril, fin de l’aventurier et du héros professionnels. On ne part plus à l’aventure, le hasard est partout et nulle part ; sa virtualité rôde, insituable, sur tous les lieux de foule et de solitude. L’exotisme, la guerre, l’exploit ne nous garantissent plus de l’emprise de la banalité. Mais, en retour, la vie la plus conjugale elle-même ne nous prémunit pas contre la surprise. Aux catégories classiques du Bourgeois, du Prolétaire, du Marginal se substitue peu à peu celle de l’Homme Quelconque, ce nouveau bâtard social qui est comme la confusion des trois (avec, en prime, le pot-au-feu), l’individu anonyme capable de ruser avec la platitude et qui se rend disponible, par mille stratagèmes, au vertige des petits événements. Ce livre se situe donc tout à fait hors des circuits dans lesquels jusqu’ici a pu se chercher le romanesque. Il récuse le pessimisme officiel, devenu liturgie des bien-pensants. Il demande de saisir la crise et le désordre comme une chance sinon comme une raison de vivre. Il n’y a d’aventure aujourd’hui que dans les lieux mêmes de la tiédeur commune : le tourisme, le couple, les moyens de transport, la vie quotidienne, la ville.