Le Corps défunt de la comédie
par Jeanne Hyvrard
Crédits & contributions
- ÉditeurSEUIL
- Parution01 février 1982
- CollectionFiction et Cie
Prix TTC
Manque sans date
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Arrache-moi la tête que je ne souffre plus. Jette-la dans le caniveau. Au milieu des crachats. Avec les lettres d’amour déchirées. Avec la vomissure des chiens. Emporte-la pour que cesse ma souffrance. Asile. Asile. Donne-moi asile. Ouvre-moi les bras. Fais-moi place avec ceux qui ne seront plus. Au milieu des femmes accouchées. Au milieu des vivants torturés. Au milieu des enfants suicidés. Au milieu de tous ceux-là qui n’ont pas pu survivre. Ouvre-moi le blindage de tes portes. Tu ne le peux. Trop occupé que tu es à tenter de démêler l’histoire. Tu n’y arriveras pas. Tu crois toucher un livre, mais c’est du sang. Tu crois lire un cours, mais c’est du vent. Tu crois entendre la folie, mais c’est une quête. Tu ne peux concevoir ensemble la déchirure et la jonction. À cause de cela cinquante millions de vivants vont cette année encore mourir de faim. Les usines ferment. Les milices se forment. Les silos engrangent les semences de la guerre nucléaire. Il manque une pièce pour clore l’instruction, un remède pour guérir, une machine pour rééduquer. Tu ne comprends pas pourquoi il faut cinq ans pour parcourir deux heures. Le Traité d’économie politique devient la Théorie générale du chagrin. Tu ne veux pas que je parle argot, la langue qui réunit le corps et l’esprit. Les mots ne peuvent dire ensemble toute chose et son contraire. Je vais mourir d’épuisement. Ça ne fait rien. Ta chemise blanche est si belle dans la prairie et tes mains si lumineuses quand elles donnent les cerises. Les mots ne peuvent dire ensemble toute chose et son contraire. Ça ne fait rien. Tu remontes du ravin tenant entre tes bras mon corps défunt, dans l’éternel matin. J.H.
