AU BONHEUR DES POULES

Ah ! se dit la grand-mère ! Pourquoi n’a-t-elle jamais pensé à prendre en photo sa mère en tablier, triant les lentilles, tricotant avec quatre aiguilles, étendant le linge le soir au-dessus de la cuisinière, reprisant les chaussettes sur un gros œuf en bois, cherchant ses bobines de fil dans la travailleuse, crochetant des restes de laines pour ne rien perdre, faisant briller ses obus de cuivre, amidonnant ses napperons ? Qu’avait-elle de mieux à faire ? Aller en surboum, en mini-jupe ? Après avoir troqué le porte-jarretelles contre un collant Dim ? Retrouver les copains à chemise à fleurs et cheveux longs, fraîchement reçus au permis de conduire, passé sur une Simca 1000 ? Aujourd’hui septuagénaire, plus près du tombeau que du berceau, elle a la tentation de faire un bilan : qu’a-t-elle fait de ce que l’on a fait d’elle ? Quelle est son identité ? Elle ne trouve pas le mot pour dire qui elle est… Alors, elle écrit des histoires. Elle aimerait tant en écrire comme on lui en racontait quand elle était gamine ! Des histoires d’amour dans des grands lits carrés avec des bouquets de pervenche. Des histoires où toutes les femmes seraient au Paradis, là où il n’y a aucun mépris car personne n’est familier avec personne. Un Paradis où plus aucune femme ne sera niée, exploitée, utilisée, trompée, malmenée, mal aimée, mal regardée, frappée, violée, parce que femme.