Les mots de la nation

La Nation, disait Renan, est le résultat d'un plébiscite de tous les jours. Il aurait pu ajouter qu'elle était le produit d'une redite de tous les instants. Quels sont les mots grâce auxquels, dans les échanges courants et les conversations banales menés dans le cadre de nos activités quotidiennes, nous élisons et confirmons notre nation d'appartenance dans son existence et sa prétention à durer ? Mots par lesquels, en même temps, nous nous fondons discrètement en cette nation, donc nous auto-nationalisons, sans éclat, tapage ou exubérance ? L'objectif de ce travail est ambitieux : identifier, à la suite d'une enquête menée dans six nations d'Amérique du Nord et d'Europe de l'Ouest – les États-Unis, la France, l'Angleterre, l'Écosse, le Canada et le Québec – les termes utilisés par leurs habitants pour ramasser en quelques phrases l'expérience historique de leur nation et pour s'incorporer du coup, par l'emploi de ce lexique primaire acquis par voie de socialisation et cimenté par quantité de verbalisations, dans cette nation implicitement constituée comme lieu-dit et communauté imaginée de communication. Il faut voir dans ce livre une contribution originale à la compréhension du processus de reproduction des communautés nationales, cette fois par le bout le plus fin et peut-être le plus puissant de la lorgnette : celui des gens ordinaires ratifiant leur nation par inadvertance et inconscience dans la réitération triviale de ses mots typiques, ici qualifiés de « mots de la Nation », opération par laquelle ils se nationalisent doucement tout en permettant à leur nation de se renforcer dans la subtilité de ses propositions verbales.